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Une mouche, un ver et un rongeur, c’est la recette du chercheur

Publié le 29 juin 2017

Je suis chercheuse postdoctorale. Je suis aussi Dre vétérinaire, c’est pourquoi j’aime travailler sur des projets de recherche impliquant des modèles animaux. Cette recherche est la cible de critiques et de débats encore aujourd’hui. Je voudrais, dans les lignes qui suivent, éclaircir quelques points sur ce qu’est la recherche scientifique utilisant des modèles animaux en milieu académique.

Des modèles

On pense le plus souvent à la souris comme modèle de prédilection en recherche. Mais il ne faut pas oublier les invertébrés comme la mouche à fruit, appelée drosophile, ou le petit ver rond Caenorhabditis elegans (prononcé « Sénorabditice élégance » et plus connu dans le milieu par son diminutif C. elegans). Ces modèles présentent plusieurs avantages par rapport aux vertébrés. Premièrement, ce sont des modèles faciles et peu coûteux à élever dans des conditions de laboratoire. Ils possèdent aussi un cycle de vie court et peuvent être modifiés génétiquement de plusieurs façons. Et contrairement à l’utilisation des vertébrés, il n’y a pas de règles éthiques relatives à l’utilisation de la drosophile ou du C. elegans.

Même si les humains et les drosophiles ou les vers n’ont pas l’air d’avoir grand-chose en commun, il est bien établi que la plupart des mécanismes biologiques fondamentaux et des voies qui contrôlent le développement et la survie sont conservés au cours de l’évolution des espèces.

Ainsi, Thomas Hunt Morgan a raffiné la théorie de l’héritabilité d’abord proposée par Gregor Mendel grâce à ses recherches sur la drosophile. Il a défini le concept de gène et a montré que les gènes sont portés par des chromosomes, ce qui lui a valu le prix Nobel en physiologie ou médecine en 1933.

Le C.elegans a été le modèle d’étude de Robert Horvitz et de Sydney Brenner, qui ont reçu en 2002 le prix Nobel en physiologie ou médecine pour la découverte des gènes orchestrant la mort cellulaire, ou apoptose.
Ce ne sont que deux exemples historiques de l’utilité de ces modèles qui sont toujours très utilisés aujourd’hui.

Pour en revenir à la souris, il est vrai qu’elle demeure le modèle par excellence concernant les vertébrés : 1,4 million de souris ont été utilisées au Canada en 2015 pour la recherche, l’enseignement, les tests ou la production (d’animaux ou de produits biologiques). Sur les 3,5 millions d’animaux (vertébrés) utilisés en recherche, on peut citer le poisson (1,2 million), le bétail (cochon, mouton, vache…), les rats, les oiseaux, les amphibiens, les chiens, les chats et les primates. Les chiens, les chats et les primates représentent au total moins de 1 % des animaux utilisés.

Nous partageons environ 90 % de notre bagage génétique avec la souris et présentons aussi de grandes similarités sur le plan physiologique. La souris est le modèle de choix pour étudier la génétique des mammifères et est un outil précieux dans l’étude des systèmes immunitaire, nerveux, cardiovasculaire et autres systèmes complexes qu’ont en commun tous les mammifères. La souris, comme l’homme, développe naturellement des maladies comme le cancer, l’athérosclérose, l’hypertension ou le diabète. D’autres maladies qui affectent l’homme ne se développent pas chez la souris, mais peuvent être induites en manipulant le génome ou l’environnement de la souris pour en faire un modèle d’étude, comme pour la maladie d’Alzheimer par exemple.

Des souches de souris pures ont été développées avec différents noms de code : C57Bl6, Balbc, C3H… Dans un groupe de souris de souche pure, les différents individus sont semblables génétiquement, ce qui permet de minimiser les variations biologiques. Le génome de la souris peut être modifié pour enlever un gène (la souris « knock-out »), ajouter un gène (la souris transgénique) ou remplacer un gène par une version altérée (la souris « knock-in ») de façon spécifique. On peut même décider dans quel organe éteindre un gène ou le surexprimer, ou encore réguler son expression au cours de la vie de la souris, ce qui en fait un outil très puissant. Des milliers de lignées de souris mutantes ont ainsi été créées et beaucoup de ces lignées sont disponibles sur le marché.

Tous ces éléments font de la souris un modèle particulièrement intéressant pour la recherche académique en plus du coût relativement bas de son élevage et sa capacité à se reproduire rapidement. Ce modèle a permis d’innombrables découvertes, plusieurs menant à des prix Nobel.

Des règles à respecter

L’utilisation des vertébrés ou invertébrés supérieurs (comme la pieuvre) en recherche académique est soumise à une réglementation par le Conseil canadien de protection des animaux (CCPA). C’est l’organisme national responsable de l’élaboration, de la mise en œuvre et de l’encadrement de normes élevées pour l’éthique animale et les soins aux animaux dans le domaine scientifique au Canada.

Concrètement, dans un institut de recherche publique, chaque protocole impliquant des animaux sensibles doit être soumis à un comité d’éthique local (le CDEA — comité de déontologie de l’expérimentation animale — à l’Université de Montréal) représentant le CCPA, pour être approuvé. Un comité d’experts, comprenant un vétérinaire et un représentant de la communauté, examine le projet et les procédures expérimentales. Pour chaque protocole, l’équipe de recherche et le comité travaillent à mettre en œuvre le concept des 3 « R » : remplacer, réduire et raffiner. Le remplacement désigne les méthodes qui évitent ou remplacent l’utilisation des animaux dans un domaine où il est d’usage de les utiliser. La réduction désigne toutes les stratégies dont le résultat se traduit par une diminution du nombre d’animaux utilisés. Ces 2 R visent à minimiser le nombre d’animaux nécessaire afin d’atteindre les résultats scientifiques. Le raffinement désigne les modifications apportées aux méthodes d’élevage ou aux procédures expérimentales afin de réduire la douleur et la détresse animale afin qu’elles soient minimales. Le raffinement permet aussi d’enrichir le milieu de vie des animaux en prenant en compte leurs besoins physiologiques, par exemple en offrant du matériel de nidification aux espèces dont le comportement naturel comprend la fabrication de nid.

Le stress, la douleur et la détresse sont mesurés et classés en 4 catégories :

  • Aucun : les expériences ne causent pas ou peu d’inconfort ou de stress.
  • Faible : les expériences causent un stress mineur ou une douleur sur une courte période de temps.
  • Modéré : les expériences causent un inconfort ou de la détresse modéré(e) à sévère.
  • Sévère : les procédures causent une douleur sévère proche ou atteignant le seuil limite de tolérance pour des animaux conscients non anesthésiés.

La classification d’un protocole se fait sur la base de chaque animal. Donc, si une étude implique l’administration de différentes doses d’un composé aux animaux, alors le protocole sera classé suivant les effets du composé sur le groupe d’animaux recevant la plus forte dose.

En 2015, 31 % des protocoles étaient classés dans la catégorie « aucun », 37 % dans la catégorie « faible », 29 % dans la catégorie « modéré » et 2 % étaient jugés « sévères ». Pour être approuvé, tout protocole reconnu pour générer une douleur ou une détresse potentielles sera révisé pour permettre l’ajout de mesures pour atténuer la souffrance animale et établir des critères limites d’intervention appelés points limites.

Pour illustrer cela, voici l’exemple d’un protocole classique en cancérologie qui implique d’injecter des cellules tumorales sous la peau sur le flanc d’une souris afin de former une tumeur. Les scientifiques peuvent manipuler les gènes de ces cellules afin de comprendre leur effet dans le cancer ou tester des composés chimiques qui pourraient faire régresser la tumeur. Dans ce modèle, un volume tumoral maximal est instauré au-delà duquel il est jugé qu’il gêne la souris dans son comportement et peut amener de la détresse chez l’animal. Une ulcération de la masse tumorale est un second point limite. Ces 2 critères se rajoutent à des points limites qui signent une détresse chez la souris, par exemple une perte de poids de plus de 10 %, des signes de déshydratation ou le dos voûté. Tous ces points limites indiquent quand l’expérience doit être arrêtée pour éviter toute souffrance animale.

Ces protocoles expérimentaux doivent être renouvelés tous les ans afin de vérifier la progression du projet et revoir si une quelconque stratégie concernant le concept des 3 R peut s’ajouter. De plus, tout le personnel amené à travailler avec les animaux possède une formation spécialisée pour l’utilisation des animaux en recherche. Cette formation est technique (comment manipuler une souris ou réaliser une injection par exemple), mais aussi éthique. Enfin, les installations font l’objet d’une évaluation par le CCPA qui examine le programme et les normes de soin et d’utilisation des animaux.

Le respect de ces normes est particulièrement important en recherche académique puisque pour obtenir une subvention au niveau fédéral au Canada (les Instituts de recherche en santé du Canada — IRSC — et le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada — CRSNG —), tout établissement qui utilise des animaux en recherche doit détenir un certificat valide du CCPA.

Des progrès en medicine

Les différents modèles décrits ici ne sont que des modèles et il faut en être conscient. Il n’existe pas de modèle parfait. L’être humain, pour les raisons éthiques que tout le monde comprend, ne peut pas être considéré comme un cobaye pour la recherche. Il faut bien connaître les forces et faiblesses de chaque modèle afin de choisir le meilleur pour chaque étude. En consultant la liste des prix Nobel en médecine et la contribution des modèles animaux aux études associées à ces derniers, il est évident que la recherche académique a besoin de ces outils, qui mèneront encore à bien des avancées dans le domaine médical.

Références:
Barbara H. Jennings, Drosophila—a versatile model in biology & medicine, materials today, 2011, 14 (5), 190–195
Données sur les animaux pour 2015 : http://www.ccac.ca/Documents/AUD/2015-Animal-Data-Report.pdf
La souris comme organisme modèle : https://www.genome.gov/10005834/background-on-mouse-as-a-model-organism/
Microsite des Trois R : http://3rs.ccac.ca/fr/a-propos/
Les modèles animaux associés à des prix Nobel : https://fbresearch.org/medical-advances/nobel-prizes/

Mathilde Soulez
Stagiaire postdoctorale

Laboratoire de Sylvain Meloche