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La recherche fondamentale d’aujourd’hui, reflet des progrès de demain
Publié le 10 mai 2017
Quand on travaille dans un laboratoire de recherche fondamentale d’un institut de recherche en cancérologie, il n’est pas rare d’entendre ce même refrain de la part de sa famille ou de ses amis : « alors tu trouves ? », avec une subtile pointe d’ironie à peine perceptible.
Nous ne cherchons pas nécessairement pour trouver des solutions à des problèmes pratiques.
Il est vrai que la réponse à cette question s’accompagne toujours d’une tirade profonde et inspirée sur la recherche fondamentale, vantant son importance, ses bienfaits, ses apports fructifiant et indispensables dans notre société ; mais aussi l’épanouissement et la satisfaction de prendre part à cet enrichissement du savoir. Car oui, la recherche fondamentale vise à approfondir les connaissances, comprendre les éléments qui nous entourent, une recherche qui s’anime autour de notre créativité pour satisfaire notre curiosité.
Le milieu de la recherche fondamentale ne serait-il composé que d’universitaires « pelleteurs de nuages » ? Je ne pense pas qu’on se permettrait de dire que le physicien Albert Einstein pelletait des nuages quand on sait que c’est à partir de ses travaux fondamentaux en mécanique quantique (1917) que l’Américain Théodore Maiman a expérimentalement généré le laser (1960), laser qui permet actuellement aux chirurgiens de réaliser avec précision des microdissections de régions inaccessibles et sensibles du corps humain. Qui eut cru ou même envisagé de telles retombées technologiques de ses recherches ? Personne, pas même Albert Einstein lui-même.
Nous ne cherchons pas nécessairement pour trouver des solutions à des problèmes pratiques mais pour expliquer des phénomènes a priori sans répercussions immédiates.
Il est légitime de se demander quelles sont les conséquences concrètes engendrées par « l’étude de la composition de planètes inhabitables, inaccessibles et perdues dans l’immensité de l’univers », ou encore « l’abstraite détermination des décimales infinies du nombre irrationnel π (Pi) dans notre vie quotidienne » et s’il est vraiment utile de consacrer des ressources financières et humaines dans de tels projets. Sans hésitation, le jeu en vaut la chandelle. Ce n’est pas en persistant à améliorer cette chandelle que l’homme a découvert l’ampoule incandescente, issue du concept fondamental qu’est l’électricité.
Nous vivons actuellement au sein d’une société mercantile réclamant une recherche productive aux résultats immédiats, utiles et avec retour sur investissement. Laissez-moi vous dire que la recherche fondamentale est loin de ce modèle : c’est une recherche désintéressée, excluant toute idée de rentabilité, avançant a priori à l’aveugle dans l’infiniment petit pour définir l’infiniment grand. Même si, la plupart du temps, elle est imprévisible en termes de résultats, elle est initiatrice de tout progrès. Trop souvent, elle est tapie dans l’ombre de la recherche appliquée. Pourtant, la recherche appliquée se nourrit de la recherche fondamentale, tandis que cette dernière ne peut progresser sans l’approvisionnement en progrès techniques de la recherche appliquée.
Passé inaperçu lors de sa découverte purement fondamentale dans le génome bactérien en 1987, le système CRISPR/Cas, a été remis au goût du jour dans les années 2000. C’est en essayant d’améliorer le rendement des bactéries fermentatrices du yogourt que la recherche appliquée et la recherche fondamentale ont percé le secret de ces bactéries. En effet, le décryptage du système CRISPR/Cas a permis de comprendre que ces bactéries capturent l’ADN de leurs ennemis pour mieux les combattre. CRISPR/Cas est un système de défense naturel des bactéries contre les virus : les bactériophages. C’est en comprenant la mécanique de fonctionnement de CRISPR/Cas, que les chercheuses Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna ont pu détourner ce système immunitaire bactérien et en faire un véritable outil biotechnologique à la portée de tous.
Le système CRISPR reconnait très précisément des régions du génome, tandis que l’activité des enzymes Cas (pour CRISPR associée) va agir comme un ciseau et découper l’ADN. Cet outil qui révolutionne maintenant la recherche fondamentale et appliquée en biologie moléculaire promet une évolution technologique aux retombées considérables, notamment en santé où la correction de mutations ou l’insertion de nouveaux gènes pourrait permettre de guérir à vie des maladies héréditaires comme la dystrophie musculaire de Duchenne et certains cancers.
La recherche fondamentale est une recherche à long terme, dont les découvertes n’ont pas d’applications pratiques immédiates, voire inenvisageables compte tenu des connaissances actuelles, et qui sont parfois même surprenantes… « La Serendipité – ou le chercheur chanceux – est celui qui cherche une aiguille dans une meule de foin et y trouve la fille du fermier ! » disait le médecin américain Julius Comroe. Comme l’explorateur Christophe Colomb à la recherche de la route de l’Ouest vers les Indes, et découvrant le Nouveau Monde, inconnu des Européens, comme la découverte fortuite de la pénicilline par Alexander Fleming (Prix Nobel de Physiologie-Médecine en 1928) qui s’amusait à dire avec modestie : « tout de même, les spores ne se mirent pas debout sur la gélose pour me dire : Vous savez, nous produisons une substance antibiotique ».
Le monde d’aujourd’hui est le reflet de la recherche fondamentale d’hier.
Ces découvertes fortuites sont autant de chances d’avancées technologiques déterminantes pour le développement à long terme. Tout progrès technique s’appuie sur des découvertes fondamentales du passé. Ainsi, à partir de la description d’un unique phénomène, il est possible de générer un panel d’applications interdisciplinaires. La recherche universitaire est un bien public aux intérêts publics grandissimes. La science est un domaine qui avance vite, d’autant plus que nous disposons aujourd’hui d’une multitude d’outils pour accélérer, améliorer et accumuler des notions fondamentales. Ainsi, même un doctorant en sciences fondamentales est amené à se spécialiser pour maîtriser et faire l’état de tout un domaine souvent restreint. À savoir que le mérite d’une découverte d’un chercheur n’en revient pas uniquement à sa propre personne ni à une équipe seule, mais essentiellement à l’ensemble des générations précédentes qui ont engendré un stock d’informations valides pour pouvoir appuyer ses hypothèses, tout comme ces dernières seront le ciment des futures générations.
« C’est le travailleur solitaire qui découvre un sujet nouveau, mais plus le monde devient compliqué, moins nous sommes capables de conduire quoi que ce soit jusqu’au succès sans la collaboration des autres. » Alexander Flemming
On pourrait se demander si investir tous les fonds de recherche dans la science appliquée ne serait pas une stratégie efficace pour faire croître l’innovation et la productivité. Une telle négligence de la recherche fondamentale serait alors catastrophique, car cette recherche est stimulatrice de la recherche appliquée.
La recherche universitaire repose sur trois sources de financement : les organismes subventionnaires gouvernementaux, des partenaires privés ou publics intéressés, les fonds de fonctionnement des universités elles-mêmes. Au Québec comme partout ailleurs au Canada, le gouvernement fédéral participe avec ses trois conseils subventionnaires – les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG) et le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) – aux fonds de recherche universitaires.
Malheureusement, dans un contexte économique difficile, il a été tentant de réorienter les financements fédéraux de la recherche sur des projets ayant des applications rentables à court terme, privilégiant les intérêts de l’industrie ou autres partenaires jugés stratégiquement plus importants au détriment de projets potentiellement prometteurs de la recherche fondamentale.
En effet, de 2007-2008 à 2015-2016, les coupes fédérales ont réduit le financement de base des trois Conseils de recherches de 8,2 %. Les conclusions du rapport Naylor, qui a récemment été publié, démontrent qu’aujourd’hui moins de 25% du coût de la recherche est assumé par le gouvernement fédéral, contre 50 % par les établissements universitaires et collégiaux. Cette situation, hautement anormale à l’échelon international, a des incidences négatives, tant pour la recherche que pour l’enseignement partout au Canada.
Cette perte de financement s’aggrave d’autant plus que pour les trois organismes subventionnaires fédéraux, on observe une diminution nette tant du taux de réussite que du nombre de projets subventionnés, alors que le nombre total de demandes de subvention ne cesse globalement d’augmenter.
Cette stratégie à court terme des progrès scientifiques est une menace pour la croissance, puisque l’obsession des résultats commerciaux n’apporte que des modifications mineures à des solutions et outils disponibles, à l’encontre d’études explicatives plus fondamentales, favorables à l’émergence de découvertes insoupçonnées. La commercialisation de la recherche fondamentale pousse les chercheurs à orienter, voire biaiser leurs investigations, les détournant de leur vocation exploratrice. Il en résulte aussi une perte d’accessibilité publique des résultats de la recherche, les partenaires de l’industrie étant soucieux de protéger leurs intérêts commerciaux.
Entre 2007-2008 et 2015-2016, l’enveloppe budgétaire de la recherche initiée par des chercheurs a diminué de 3 %, tandis que celle de la recherche axée sur des priorités a augmenté de 35 % ; Le rapport Naylor établit que même si le nombre de chercheurs a augmenté pendant cette période, les ressources réellement disponibles par chercheur actif pour entreprendre de la recherche ont diminué d’environ 35 %.
Ainsi, recherche fondamentale et appliquée sont complémentaires, mais animées par des vocations différentes. Alors que le chercheur fondamentaliste doit en tout temps remettre en question ses hypothèses suite à d’inattendues observations, au contraire, la recherche appliquée impose une finalité définie à l’avance, qui matérialise les avancées de la recherche fondamentale. Il est donc illusoire de favoriser un type de recherche par rapport à un autre et le soutien actif à ces deux types de recherche est essentiel à l’innovation.
Étudiante au doctorat en biologie moléculaire
Laboratoire de recherche de Sylvain Meloche
Les travaux de doctorat de Marjorie s’intéressent aux protéines de la famille des Src kinases impliquées dans le développement tumoral. Plus particulièrement, elle cherche à comprendre leurs mécanismes d’actions dans la promotion tumorale et la résistance face au pouvoir antitumoral du système immunitaire. La caractérisation de ces signalisations permet de proposer ces kinases comme des cibles thérapeutiques prometteuses pour inhiber la prolifération intempestive des cellules cancéreuses et favoriser leur élimination par le système immunitaire.
À propos de la recherche fondamentale et appliquée :
« Imprévisibilité », discours prononcé le 30 mars 2006, Pr. Bernard Rentier Recteur de l’Université de Liège, France lors de la séance solennelle de remise des insignes de docteur honoris causa à l’Université de Liège. [http://recteur.blogs.ulg.ac.be/?page_id=43]
« La mondialisation de la recherche », de Gérard Fussman, Collège de France, 2011. [http://books.openedition.org/cdf/1526]
« De la Sérendipité » de Pek Van Andel et Danièle Bourcier, Herman, 2011
« La recherche fondamentale, source de tout progrès » : La revue pour l’histoire du CNRS – 24, de René Bimbot et Isabelle Martelly, publié le 05 octobre 2009. [https://histoire-cnrs.revues.org/9141]
À propos des financements en recherche :
« Investir dans l’avenir du Canada : Consolider les bases de la recherche au pays. [http://www.examenscience.ca/eic/site/059.nsf/vwapj/ExamenDuSoutienScience_avril2017.pdf/$file/ExamenDuSoutienScience_avril2017.pdf]
« La recherche universitaire comme source économique » : [http://serum-afpc.org/wp-content/uploads/2016/12/M%C3%A9moire-SQRI-2017-et-annexe.pdf]
« Le financement fédéral de la recherche fondamentale » : ACCPU Dossiers en éducation, vol 13,1, octobre 2013 [https://www.caut.ca/docs/default-source/education-review/educationreview13-1-fr.pdf?sfvrsn=2]
« Mémoire de l’ACPPU pour l’examen du soutien fédéral à la science fondamentale »
« La recherche est sous-financée au Canada, selon un comité d’experts »
À propos de l’invention du laser :
American Physical Society August/September 2005 (Volume 14, Number 8) Entire Issue: This Month in Physics.
[https://www.aps.org/publications/apsnews/200508/history.cfm]
History: Einstein predicts stimulated emission. [https://www.aps.org/publications/apsnews/200508/history.cfm]
À propos d’Alexander Flemming :
« La vie de Sir Alexander Flemming » d’André Maurois, Hachette, 1959
À propos de l’invention du Système CRIPSCas9 :
« L’avant CRISPR-Cas9 : les premiers pas de l’édition du génome » article de Jacques Suaudeau publié le 18 mai 2016
« CRISPRCas9, un traitement potentiel pour les maladies héréditaires », vidéo [http://www.frqs.gouv.qc.ca/espace-presse/multimedia/media/crispr-cas9-un-traitement-potentiel-pour-les-maladies-hereditaires-mpbfmph71461001229168]
« BIOLOGIE — CRISPR : une révolution génétique à portée de main » article publié dans DIRE, volume 25.2, été 2016 par Simon Mathien. [https://www.ficsum.com/dire-archives/ete-2016/biologie-crispr-revolution-genetique-a-portee-de-main/]
« CRISPR-Cas9, une révolution génétique qui promet beaucoup (et pose de nombreuses questions) » [http://ici.radio-canada.ca/tele/decouverte/2014-2015/segments/reportage/1086/chirurgie-adn]
À propos de la collaboration industrie-recherche publique
« Collaboration entre l’industrie pharmaceutique et la recherche académique : l’union fait le médicament », article de Mathilde Soulez publié le 19 janvier 2017