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De nouvelles thérapies contre de vieux crabes

Publié le 8 décembre 2016

Le cancer, du Grec karkinos qui signifie crabe, tel le crustacé, pince inopinément, sans prévenir et une fois accroché, s’agrippe sans lâcher prise facilement. Comme le mentionnait Hippocrate, il a des veines étendues de tous côtés, de même que le crabe a des pieds.
Nous savons maintenant que le cancer est une maladie causée par la croissance incontrôlée d’une seule cellule. Cette croissance résulte de mutations — des changements dans l’ADN qui vont spécifiquement affecter des gènes. Des gènes qui incitent à une prolifération cellulaire illimitée, des gènes qui font partie d’un circuit génétique puissant qui permet la régulation de la division et de la mort cellulaire.
Cette division cellulaire qui nous permet en tant qu’organisme vivant de grandir, s’adapter, se réparer, permet au cancer de grandir, s’adapter, prospérer — de vivre aux dépens de notre organisme.
Le secret pour combattre la bête marine est donc de trouver des moyens de prévenir ces mutations dans les cellules susceptibles d’en acquérir, ou des moyens d’éliminer les cellules accueillant ces mutations sans compromettre la survie et la prolifération des cellules normales. La cellule normale étant extrêmement proche de la cellule cancéreuse, combattre le cancer « serait presque — pas tout à fait, mais presque — aussi difficile que de trouver un agent qui pourrait dissoudre l’oreille gauche et laisser l’oreille droite intacte » selon William Wolgom, médecin et chercheur au début du XXe siècle.

La chasse aux crabes
Dans les années 1890, si la tumeur était locale, confinée à un organe ou un site permettant son extraction par chirurgie, le cancer avait une chance d’être guéri. Cependant, les pattes d’un crabe présentent l’étrange propriété de repousser même une fois coupées. Les premières masses tumorales dans le sein sont traitées par des chirurgies peu, ou pas assez invasives. La masse est extraite suivant ses contours au scalpel, laissant quelques irréductibles cellules cancéreuses qui finiront indéniablement par reprendre le contrôle du territoire avoisinant. En réponse à ces échecs, les chirurgiens de l’époque n’ont pas longuement hésité avant d’aller chercher plus profondément et retirer le sein dans son entièreté, efficace pour les tumeurs non invasives, mais ne faisant que retarder le phénomène de récidive dans d’autres cas plus avancés. Ils décident alors d’aller « gratter » et enlever les ganglions proches affectés jusqu’à parfois extraire quelques côtes, muscles et nerfs de l’épaule, certaines femmes perdant la mobilité de leur bras, avant de réaliser que les cellules cancéreuses pouvaient se détacher de la tumeur d’origine pour migrer vers d’autres organes.
Ainsi cette série de chirurgies concluantes ou non, plus ou moins radicales, auront permis d’apprécier la notion encore inconnue de grade de la maladie et celle de métastases. Les petits crabes sont faciles à trouver et à attraper, mais les plus grands se cachent dans le sable, hors de danger et hors d’atteinte.
Avec la découverte, dans les années 1900, des rayons X qui ciblent l’ADN, les cellules qui prolifèrent le plus rapidement dans l’organisme peuvent être préférentiellement tuées sans avoir recours au scalpel. Dès le début du XXème siècle, il est donc possible d’avoir recours à la radiothérapie. Avec toujours plus de précision, la coquille extérieure de la tumeur, telle la carapace du crustacé, est pénétrée en profondeur pour permettre de tuer les cellules cancéreuses.
Un choix entre le rayon chaud et la lame froide. La cure contre le cancer inclut à l’époque seulement deux principes — l’enlèvement et la destruction du tissu malade.

Sa progression est bizarre, il marche de travers, avance, recule, accélère, ralentit, s’arrête, repart.

La complexité de ce monstre marin marcheur pousse Sidney Farber, pathologiste en pédiatrie et futur père de la chimiothérapie à chercher une alternative thérapeutique plus efficace. L’idée de chimiothérapie anticancéreuse fait surface, un agent chimique qui peut guérir le cancer, de la « pénicilline pour le cancer » comme certains l’imaginent à l’époque.
Dans les années 1950, il découvre donc un agent chimique anticancéreux puissant, un analogue de la vitamine B9 et commence à rêver d’un remède universel contre le cancer. L’acide folique (vitamine B9), crucial pour la construction de l’ADN et donc vital pour la division cellulaire, l’a inspiré à en concevoir un antagoniste, une molécule qui mime la molécule naturelle bloquant son action, comme une fausse clé bloquant la serrure. Le cancer, aussi agressif soit-il, pouvait être traité avec un médicament, un produit chimique.
Encore une fois, la difficulté étant de trouver un poison sélectif, un couteau agile : assez tranchant pour tuer le cancer, mais cependant assez sélectif pour épargner le patient.

La pêche au casier
Une longue ère de chimiothérapie débute — antifolate, cyclophosphamide, cytarabine, prednisone, asparaginase, adriamycine, thioguanine, vincristine, 6-mercaptopurine, methotrexate. Une pluie quasi constante de couteaux tranchants s’abat sur la bête marine finissant indéniablement par endommager son environnement.
La découverte des premières molécules dans les années 1950 provient d’observations fortuites, de découvertes accidentelles de poisons capables d’inhiber la croissance des cellules cancéreuses. Mais pour la conception d’un médicament idéal contre le cancer, il faut raisonner à l’envers, il faut nous même s’arrêter, reculer, identifier une cible moléculaire spécifique dans la cellule cancéreuse et repartir, accélérer, produire un agent chimique qui attaque cette cible. La compréhension de la biologie fondamentale croissante permet de nos jours de cibler plus spécifiquement les gènes qui incitent à la division cellulaire et à la prolifération des cellules cancéreuses (oncogènes) ainsi que les gènes impliqués dans sa régulation (suppresseurs de tumeurs). Imatinib, sorafenib, dasatinib, aflibercept, axitinib, trametinib — le couteau s’aiguise, gagne en agilité.

Il se faufile, il se camoufle…

William Bradley Coley La caractéristique la plus sournoise de la créature des fonds marins reste qu’elle se fond à merveille dans son environnement naturel. La cellule cancéreuse est si proche de la cellule normale qu’elle s’intègre parfaitement dans l’environnement de l’organisme vivant, l’envahit, la colonise sans être menacée.
L’avant-gardiste William B. Coley, chirurgien osseux, chercheur dans les années 1900, bien avant les premières chimiothérapies anticancéreuses, décide de s’attaquer à cette créature par une approche tout autre. Plutôt que d’utiliser un agent chimique pour attaquer directement la cellule en division, il décide d’utiliser un agent infectieux, une bactérie ou toxine de bactérie (la toxine de Coley) pour stimuler les défenses immunitaires propres du patient qui s’attaqueraient aux cellules infectées et les détruiraient. L’immunothérapie est née, ingénieuse, prometteuse, mais mal reçue par la communauté scientifique de l’époque, et ce n’est qu’un siècle plus tard, dans les années 2000, qu’elle refait surface.

Aux armes !
Nous savons maintenant que le cancer n’est pas uniquement une maladie des gènes, mais une maladie de l’organisme, de l’environnement de la tumeur et du système immunitaire. Le crabe se camoufle, les cellules cancéreuses ont une capacité à s’évader, déjouer le système immunitaire.
Une nouvelle armée, potentiellement capable de détruire les cellules cancéreuses, résiderait en nous : notre propre système de défense, les cellules du système immunitaire. Les stratégies actuelles pour utiliser cette armée de cellules immunitaires contre la créature consistent à l’éduquer ou l’activer. « Si le système immunitaire ne reconnaît pas la tumeur comme étrangère à l’organisme, il va falloir (…) lui apprendre à la reconnaître comme dangereuse. Si la réponse est là, il s’agira alors de la stimuler, pour lui donner une dimension qui soit à la hauteur de son adversaire » déclare Vassili Soumelis, médecin et immunologiste de l’institut Curie, France.

« Lui apprendre à reconnaître (la tumeur) comme dangereuse. »

Chaque cellule de l’organisme est soumise à une surveillance stricte, quasi militaire par les cellules du système immunitaire. Les caractéristiques spécifiques de chaque cellule ou antigènes sont générées par la cellule puis présentées et analysées par le système immunitaire. Celui-ci va soit les reconnaître comme du soi et ne pas réagir ou les reconnaître comme étrangères et envoyer une armée de cellules immunitaires pour attaquer la cellule en question.
Le secret pour combattre notre créature des fonds marins est donc de manipuler le système immunitaire, permettre une reconnaissance spécifique des cellules tumorales grâce à l’identification de leurs caractéristiques ou antigènes spécifiques et faire en sorte que ceux-ci soient reconnus comme étrangers. Pour cela, il faut aller chercher dans les profondeurs de la cellule tumorale et y dénicher ses caractéristiques propres, les antigènes tumoraux spécifiques…
C’est ainsi, main dans la pince, que nous abordons un nouveau chapitre de thérapie pour tenter de venir à bout de ce monstre des mers et océans.
« La thérapie parfaite n’a pas encore été développée. La plupart d’entre nous pensent qu’elle n’impliquera pas une thérapie cytotoxique, c’est pour cela que nous encourageons des types de recherches de base dirigées vers une compréhension plus fondamentale de la biologie des tumeurs. Mais… Nous devons faire du mieux que nous pouvons avec ce que nous avons pour le moment, » selon Bruce Chabner, médecin oncologiste américain dans une lettre adressée à Rose Kushner, journaliste américaine qui s’est intéressé de près à la lutte contre le cancer du sein dans la deuxième moitié du XXe siècle.
Les premiers antigènes tumoraux humains reconnus par le système immunitaire ont été découverts il y a une vingtaine d’années. Cependant la translation clinique du concept a tout juste commencé et un petit nombre d’essais cliniques récents ont fait surgir d’excitants concepts exploratoires.
Certaines expériences suggèrent que l’immunité adaptative contribue à des bénéfices cliniques sur le long terme en combinaison avec des traitements anticancéreux tels que la chimiothérapie et la radiothérapie.

Charlotte Girondel
Étudiante au doctorat en pharmacologie
Laboratoire de recherche de Sylvain Meloche
Charlotte cherche à déterminer si l’absence d’une protéine, appelée SEF, a un impact sur l’initiation et la progression tumorale dans certains types de cancers. Cette protéine peu étudiée jusqu’à présent semble agir autant sur la prolifération des cellules que sur le tout premier système de défense de l’organisme, le système immunitaire innée, ce double rôle potentiel faisant d’elle une cible thérapeutique intéressante.

Pour aller plus loin :
À propos de la chirurgie 

À propos des rayons X 

À propos de Sidney Farber et de la chimiothérapie 

  • « Sidney Farber (1903-1973) », Journal of Pediatrics (1996).

À propos de William Coley et de l’immunothérapie